- Par Sabine Cessou
La polémique ne pouvait tomber plus mal: Nelson Mandela a fait une brève apparition avant la finale du Mondial, hier, cédant en partie aux pressions de la Fifa, dénoncées par son petit-fils Mandla Mandela. La Fifa tenait à ce que ce soit Mandela qui remette le trophée aux vainqueurs: fatigué et en deuil, à cause de la mort de son arrière-petite-fille de 13 ans dans un accident de voiture, le jour de l'ouverture du Mondial, l'icône internationale a fait un petit tour, avant de rentrer chez lui. Pendant ce temps, la polémique faisait rage, autour d'un tableau ayant commis le crime de lèse-ANC de montrer Mandela mort.
Sur l'œuvre, on voit l'ancien président nu et allongé, tandis que le jeune Nkosi Johnson, un célèbre orphelin du sida mort à 12 ans, en 2001, pratique l'autopsie, sous le regard de l'archevêque Desmond Tutu et des ténors de la politique sud-africaine, parmi lesquels Jacob Zuma, Thabo Mbeki et Frederik de Klerk. La galerie marchande de Hyde Park a reçu des plaintes sur le tableau, deux jours après son accrochage: une amie de l'une des filles de Nelson Mandela a fait savoir au peintre, par téléphone, que la famille était outragée. «On m'a dit qu'il y avait eu une mort récemment dans la famille et qu'ils étaient toujours en deuil», explique le peintre Yuill Damaso, 41 ans, blanc, basé à Johannesburg et connu pour son goût de la provocation. L'artiste a déjà eu maille à partir avec la Fondation Nelson Mandela en 2002, pour avoir peint Mandela avec des dreadlocks ou en vieillard.
«Dans la société africaine, c'est un acte de sorcellerie de tuer une personne vivante comme dans cette soit-disant oeuvre d'art, a déclaré Jackson Mthembu, le porte-parole de l'ANC. C'est aussi atteindre à la dignité de Tata (grand-père) Mandela que de le montrer nu, exposé aux regards de curieux, dont certains ont vu leurs idéaux d'apartheid mourir avant eux.» Le mot "apartheid" est lâché. Sous-entendu: parce qu'il n'a pas été exécuté par un Noir, le tableau est soupçonné de racisme.
Les réactions qui pleuvent en disent plus long sur l'atmosphère parfois pesante qui peut prévaloir en Afrique du Sud, en dépit des impressions d'unité et de réconciliation données par la Coupe du monde de football. Le journal qui a publié l'œuvre en une, The Mail & Guardian, détenu par des intérêts blancs, est lui aussi soupçonné d'œuvrer contre la dignité et les libertés constitutionnelles. Jackson Mthembu a d'ailleurs indiqué que l'ANC était plus déterminé que jamais à mettre sur pied un «tribunal des médias».
Peu importe que l'artiste, Yuill Damaso, ait rappelé son «immense admiration pour Nelson Mandela», ou expliqué qu'il s'agit pour lui et ses compatriotes de «faire face à la mort prochaine de Mandela, en tant que personnes et en tant que nation». Peu importe, aussi, que Rapule Tabane, le directeur adjoint (noir) de la rédaction du Mail & Guardian, estime que l'oeuvre traite de «l'état actuel de la politique dans notre pays et la signification de Mandela dans ce contexte». Explication livrée par Rapule Tabane : «Ce tableau pose la question : Qu'est-ce qui a tué l'esprit si spécial que Madiba a apporté à notre vie nationale ? Ce n'est pas une réflexion ou une anticipation de la mort littérale de Mandela en tant que personne, mais un questionnement sur l'état de la nation et son iconographie. C'est le genre de travail que les artistes font tout le temps...».
Ilustration © Reuters / Yuill Damaso en train de travailler à son œuvre controversée et le tableau.
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