Dépénaliser la diffamation, du "sur-mesure pour condamner la presse"
Après la vague de protestations qui a suivi l'interpellation de Vittorio de Filippis, journaliste de Libération poursuivi pour diffamation, Nicolas Sarkozy a appelé, lundi 1er décembre, à dépénaliser ce délit dans les plus brefs délais. La réaction du chef de l'Etat est apparue aussi rapide que salutaire. Sauf que cette idée n'était pas si nouvelle, et qu'elle est dénoncée par le principal syndicat de journalistes, le Syndicat national des journalistes (SNJ), comme dangereuse pour la liberté de la presse.
Le projet du chef de l'Etat était en réalité dans les cartons depuis l'été. Le 30 juin, la commission Guinchard, chargée de réfléchir à la réforme du contentieux, a remis à la garde des sceaux 65 propositions dont l'une, alors passée inaperçue, suggérait que la diffamation soit désormais jugée au civil, "à l'exception des diffamations présentant un caractère discriminant (raciste, sexiste)". L'émoi suscité par l'affaire Filippis a donc, semble-t-il, fourni l'occasion à Nicolas Sarkozy de lancer cette réforme. Il a ainsi promis un projet de loi qui sera examiné par le Parlement "dès le début de l'année 2009".
UNE RÉFORME "SUR MESURE"
Sitôt annoncé, le projet a été critiqué par le SNJ. Dans un article intitulé "Dépénalisation de la diffamation : attention danger !", le syndicat accuse la commission Guinchard de faire du "sur-mesure pour condamner à coup sûr la presse, dès lors que les puissants du moment le voudront". Le SNJ estime que la procédure pénale, qui s'appuie sur la loi de 1881 sur la liberté de la presse, protège davantage les journalistes qu'un jugement au civil. "Au pénal, il y a une instruction, le journaliste peut prouver sa bonne foi. Il y a un cadre légal, une jurisprudence qui permet de juger dans le respect des libertés publiques fondamentales. Le juge civil, lui, n'a aucun cadre. S'il constate un préjudice, il condamne. Point barre. Il ne se préoccupe pas de savoir si son jugement porte atteinte aux libertés publiques. Dépénaliser la diffamation revient donc à ramener le droit de la presse à un simple conflit entre particuliers, sans égard pour le rôle d'une presse indépendante", explique Dominique Pradalié, secrétaire générale du SNJ. L'ancienne garde des sceaux socialiste Elisabeth Guigou a elle considéré, mercredi sur Europe 1, que la dépénalisation de la diffamation était une "fausse bonne idée".
Serge Guinchard, auteur du rapport incriminé, dénonce l'"hypocrisie" du SNJ. Ce professeur de droit ayant fait carrière dans la politique – il fut l'adjoint du RPR Michel Noir à la mairie de Lyon – estime que le syndicat défend la procédure actuelle parce qu'elle s'est alourdie, au fil du temps, de "pièges procéduraux" qui rendent extrêmement difficile la condamnation de journalistes. "Il est quand même ahurissant de considérer qu'il y a tellement de chausse-trappes dans la loi pénale qu'elle protège la liberté de la presse. Je ne pense pas qu'on puisse mettre dans le même champ des personnes qui écrivent et d'autres qui volent des voitures... Nous avons pensé que la justice civile correspondrait mieux à notre temps", explique-t-il. S'il reconnaît que la procédure actuelle est largement "favorable" à la presse, il estime aussi qu'il n'y a aucune raison pour que cela change au civil.
Un optimisme qu'est loin de partager le SNJ. "Cette réforme me semble avoir un double objet : tout d'abord, permettre aux seuls puissants de mettre en oeuvre ce type de procédures civiles, car en l'absence de juge d'instruction, il faut pouvoir payer des avocats pour faire l'enquête. Et ensuite, condamner plus facilement les journalistes, puisqu'ils ne seront plus protégés par la liberté de la presse", insiste Dominique Pradalié.
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