dimanche 2 novembre 2008

L'énigme Obama - Barack Obama lors d'un meeting dans l'Indiana, le 31 octobre.

L'énigme Obama
LE MONDE | 01.11.08 | 14h17  •  Mis à jour le 01.11.08 | 14h27
Barack Obama lors d'un meeting dans l'Indiana, le 31 octobre.
AP/Jae C. Hong
Barack Obama lors d'un meeting dans l'Indiana, le 31 octobre.

e journaliste du Los Angeles Times Peter Nicholas écrivait l'autre jour qu'après un an et demi de campagne, à raison de dix-huit heures par jour avec le candidat, il ne pouvait toujours pas "dire avec certitude" à ses lecteurs qui est Barack Obama. Il avait pourtant partagé avec lui tous les moments qui font les délices de la caravane électorale. Il l'avait vu griller des hamburgers dans l'Iowa par une chaleur étouffante, alors que les mouches, au-dessus de sa tête, essayaient de lui faire perdre contenance. Il l'avait vu jouer au football à Chicago avec sa fille Malia. Il avait vu la discipline, l'endurance, rarement la spontanéité. Et il se surprenait à se poser la question : "Qui est, au fond, Barack Obama ?"

La réponse est peut-être plus simple qu'il n'y paraît. "Barack est la personne qu'il a l'air d'être." C'est l'avis du professeur Mark Sawyer. Avant d'être professeur à l'université de Californie, à Los Angeles, il était étudiant à Chicago, où il suivait les cours de droit constitutionnel de Barack Obama. Le candidat enseignait à mi-temps, tout en étant sénateur à l'Assemblée de l'Illinois, à Springfield. Il était égal à lui-même : brillant, parfois énigmatique sur ses propres positions, capable de défendre des points de vue divergents. Et en même temps, toujours distant, appelé à autre chose. Il composait lui-même l'énoncé des problèmes de droit : "Dans l'Etat de Nirvana, un couple gay, Richard et Michael, veut un enfant...", ou "Vous devez conseiller Arnold Whatzanager, le gouverneur d'Utopia, sur un référendum interdisant la classification par races..."

Barack Obama a une grande confiance en lui. "Il en faut pour se présenter à la présidence à 47 ans", dit un ami. Il se prépare depuis longtemps, et avec une grande méthode. Dès 2002, il a pris contact avec Anthony Lake, l'ancien conseiller à la sécurité nationale de Bill Clinton, qu'il avait entendu intervenir à Chicago, et qui l'a aidé à monter son équipe diplomatique. Après avoir été élu au Sénat, il a profité de la tournée de promotion de son livre en 2006 pour rencontrer dans tout le pays des financiers, des élus locaux, des militants, et d'éventuelles petites mains pour tisser son futur réseau. Quand il a recruté Betsy Myers, pour diriger son comité exploratoire, début 2007, elle a été frappée de voir à quel point il avait étudié le modèle de campagne de George Bush en 2004. Il lui a donné des consignes précises : "gérer les personnels avec respect", "faire monter les idées de la base", et "éviter les drames" !

Les "clintoniens" sont nombreux dans l'équipe Obama. Certains ont choisi le sénateur de l'Illinois dès le début, parce qu'ils n'avaient pas envie de rejouer les orages des années 1990. D'autres n'ont rejoint la campagne qu'après la fin des primaires. Il arrive encore des courriels de candidature au quartier général, bien qu'il soit un peu tard pour rejoindre la "Team Obama". L'intégration s'est faite tant bien que mal. "On se souvient très bien de qui était là au début."

Obama est décrit comme doté de la même curiosité intellectuelle que Bill Clinton. "Mais Clinton avait toujours besoin de se montrer le plus intelligent du groupe, dit un expert qui a travaillé pour la campagne. Barack n'a pas besoin de le prouver." Le sénateur n'est pas macho : "Il a la capacité de dominer sans provoquer." Avec ses pairs, "il réussit l'équilibre entre "on est copains" et "c'est moi le président"", dit le conseiller. Il arrive à Barack Obama d'être agacé. Lorsqu'on lui explique "ce qu'il sait déjà" par exemple.

La campagne est connue depuis des mois par un slogan : "Obama - No drama". Sans drame ni fureur. L'expression est apparue en février dans la revue American Thinkers. Un article citait la réflexion d'une jeune électrice. Elle votait Obama parce qu'elle en avait assez de "toute cette atmosphère de drame" régnant depuis le 11-Septembre aux Etats-Unis. Le mot a été repris, amplifié, et il est devenu la philosophie du "mouvement", comme aiment à se désigner les militants ("un mouvement vers quoi ?", demandent les sceptiques). Barack Obama a expliqué à CBS en quoi consiste le "No Drama" : "Je ne tolère pas les gens qui font passer leur ego ou leur désir de promotion personnelle devant l'équipe. Je ne tolère pas beaucoup non plus la médisance ou les gens qui essaient de prendre appui sur les autres pour monter. Je donne quelques avertissements et si c'est chronique, ils ne font plus partie de mon organisation."

Fait admirable dans la vie politique américaine, les divergences d'opinion n'ont pas été mises sur la place publique. Il n'y a pas eu de fuites. Ni de changements de conseillers, à quelques départs près, ni même de stratégie. Même le slogan est resté le même : "Le changement crédible" ("Change we can believe in"). L'équipe Obama s'est construite en cercles autour d'une petite équipe soudée, le tandem David Axelrod et David Plouffe, partenaires dans une entreprise de consultants politiques travaillant avec la mairie de Chicago. Maintenant c'est un vrai gouvernement de plus de 300 conseillers avec des notes qui remontent par la voie hiérarchique et des sondages quotidiens.

Barack Obama est souvent vu comme un idéaliste "mais il sait aussi être calculateur et probablement assez cynique", dit un interlocuteur qui l'a rencontré pendant les primaires. L'exemple souvent cité est celui de sa candidature au Sénat de l'Illinois, en 1996, lorsqu'il a fait invalider pour vice de forme les signatures de la candidate adverse, Alice Palmer, une démocrate pourtant, qui lui avait offert son siège mais s'était rétractée. Etant le seul en lice, il a été élu.

En matière de politique étrangère, on ne connaît pas pour l'instant de "doctrine" Obama. "On vient d'avoir un président qui avait une doctrine très claire !, souligne un conseiller. La conception d'Obama n'est pas : je suis idéaliste, réaliste ou quoi que ce soit. Les problèmes sont complexes. Il n'y a pas une solution unique." Dans l'équipe, on compte aussi bien des "faucons humanitaires", interventionnistes sur les théâtres déshérités comme le Darfour, que des réalistes.

Barack Obama n'est pas homme à trancher sur des coups de tête. "Il y a des moments où j'ai besoin de passer en revue toutes nos options. Bien sûr, il arrive un moment où il faut s'assurer que nous prenons une décision." Les conseillers ayant des positions trop marquées, comme Zbigniew Brzezinski sur Israël et le conflit palestinien, ont été priés de les mettre en sourdine.

Pendant son voyage en Europe, le candidat a été d'une "orthodoxie parfaite", dit un diplomate européen. Ce qui n'empêche pas certains, sur le Vieux Continent, de s'inquiéter de ses intentions quant à un dialogue direct avec l'Iran alors que l'Europe poursuit une savante approche de carottes et de bâtons. Ou sur son protectionnisme affiché, surtout s'il y a un raz-de-marée démocrate au Congrès et que les élus se laissent emporter par leurs promesses de campagne. Mais l'esprit de coopération souffle puissamment. "Ecouter les autres, c'est ça la doctrine Obama", dit un conseiller du premier cercle.

Avant les élections, Katie Couric, la présentatrice vedette de CBS, a eu l'idée d'interroger les deux candidats sur des questions plus personnelles. Certaines, presque embarrassantes : "Quelle épitaphe souhaiteriez-vous sur votre tombe ?" D'autres, sans surprise : "Votre film préféré ?" (Le Parrain, a-t-il répondu). Pour l'épitaphe, le mari de Michelle a choisi la modestie : "Il a été un homme bon et honnête, un bon père et un bon mari. Et il a essayé de donner quelque chose de lui-même pour améliorer le monde." Il a ajouté : "Plutôt simple. Mais d'une certaine manière difficile à accomplir" - John McCain, lui, a souhaité l'inscription : "Il a servi avec honneur. Country First".

Parlons de votre livre préféré, a poursuivi la journaliste. "La Bible", a aussitôt répondu Barack Obama. Avant d'ajouter "La Chanson de Salomon, de Toni Morrison" : "C'est vraiment un beau livre. J'ai eu la chance de la rencontrer pendant la campagne. C'est toujours extraordinaire quand les gens se révèlent être exactement ce que vous voudriez qu'ils soient." A la liste, il a ajouté Shakespeare. "Les tragédies. Hamlet. Le Roi Lear. Il y a tellement de choses dedans. On peut les lire une fois par an. Et il y a toujours quelque chose de nouveau, qu'on n'avait pas remarqué, un nouvel aperçu du dilemme des hommes."

Katie Couric a enchaîné.

- "Et pourquoi croyez-vous qu'autant d'hommes politiques prennent le risque d'être infidèle à leur épouse ?"

- "Je ne sais pas, a dit Barack Obama. Parce que, plus je suis sous le regard du public... Je n'ose même pas me mettre le doigt dans le nez." "Plus je suis sous le regard du public, plus je tiens à m'assurer qu'il n'y a pas de décalage entre qui je suis et le visage que je présente au monde, a-t-il ajouté. Vous voulez que les gens sachent que ce que vous dites correspond à ce que vous voulez dire et à qui vous êtes."

Barack Obama veut rétablir la crédibilité de la fonction. Mettre fin à ce qu'il appelle les "mensonges mous" : "l'esquive, la manipulation". Après les présidences de Bill Clinton et George Bush, l'Amérique souffre d'une crise morale. C'est aussi à cette crise-là qu'il espère s'attaquer.


Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 02.11.08

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